Saint Nazaire au 19ème siècle: les protestants chassés des cimetières

Publié le par Charles Nicol , historien

En soutenant la cause d'une partie de nos concitoyens le MODEM semble vouloir ranimer quelques pages sombres de notre histoire.

Vous trouverez ci dessous quelques extraits d'un mémoire de DEA réalisé par Charles Nicol.

Un cimetière protestant à Saint-Nazaire?

 

Le petit cimetière de la Poterie (situé sur l'emplacement de l’actuel secteur du "Parc à l'eau") devenant trop petit, la municipalité s'enquit de l'aménagement d'un nouveau cimetière dès 1853. Le premier projet fut envisagé au lieu-dit Les Joncs de Penhoët

Ce programme fut abandonné car le terrain était trop marécageux. Heureusement pour l'histoire de la ville : les Joncs de Penhoët sont devenus depuis l'emplacement du second bassin en eau profonde du port de Saint-Nazaire...

Finalement, en 1855, un hectare et dix neuf ares sont achetés à 400 mètres environ du périmètre de la ville".

Entre-temps, le sous-préfet interpelle la municipalité le 6 juin 1854 et demande un "emplacement réservé aux cultes non catholiques". Cette demande fait suite aux recommandations du Garde des Sceaux à ce sujet le 30 août 1845 :

"au terme de l'article 15 du décret du 23 Prairial an 12, un lieu d'inhumation particulier doit être offert à chacun, et, dans celles (les communes N.D.L.R.) qui n'ont qu'un cimetière, on doit le diviser par des murs, haies ou fossés, en autant de parties qu'il y a de cultes différents (...).

Il est arrivé que des individus isolés soient décédés dans des communes catholiques et inhumés dans le cimetière commun mêlés aux catholiques (...) ou qu'ils l'ont été dans les parties du cimetière qui, chez les catholiques, sont affectées à la sépulture des enfants morts sans baptême, des suicidés, des suppliciés, etc. ... et alors des familles protestantes ont, avec raison, fait entendre leurs plaintes. Enfin, il paraîtrait que, dans certaines localités, l'inhumation des protestants aurait lieu soit dans les champs, soit dans des lieux dépourvus de clôtures. Il est nécessaire de mettre un terme à ces abus divers (...)".

 

La réponse du maire de Saint-Nazaire, à ces recommandations, est favorable mais aussi surprenante : le 11 juin 1859, le maire se déclare favorable à une séparation et informe le sous-préfet "qu'une partie est réservée aux dissidents" et qu'une délibération municipale a voté une dotation pour élever un mur pour "séparer les dissidents des catholiques avec une entrée spéciale".

 

Les pressions cléricales qui inspirent au maire conservateur et très catholique René Guillouzo le terme de "dissident", sont probables.

Les protestants refuseront d’être mis au ban du cimetière. Le sous-préfet conseillera au maire (peut-être pour des raisons financières) d’abandonner ce projet. Toutefois, les tombes des protestants et des non catholiques étaient placées à l’écart.

 

L'affaire DELIGNY

 

Nous sommes à Guérande, à 15 kms de Saint-Nazaire. Le 28 avril 1855, une protestante est inhumée dans le cimetière de la commune. Charlotte Deligny, âgée de 59 ans, est l'épouse de Barras Joseph Deligny, commissaire de police dans cette ville. Mme Deligny, née O'DONNEL, était d'origine britannique, fille d'un médecin de Londres.

Le pasteur Sohier de Nantes se heurte rapidement au maire de Guérande et informe son collègue Vaurigaud, dans une lettre datée du 26 avril, de "la déplorable conduite du maire qui avait fait creuser la tombe dans l'endroit réservé aux suicidés". D'où le retard d'un jour pour procéder à la sépulture dans un lieu plus décent. Sur intervention du préfet, le maire dut s’exécuter, mais une lettre de Mr Deligny datée du 28 avril, jour de l'inhumation, et adressée au pasteur Vaurigaud, ne laisse guère de doute sur les intentions du maire :

"De nouvelles instructions ont été données à monsieur le maire par monsieur le préfet pour que Mme Deligny serait (sic) inhumée dans le cimetière de Guérande. Toutefois dans un lieu non bénit par le clergé. Or je crains qu'elle soit déposée dans le lieu primitif c'est-à-dire souillé par le crime. Je vous prie, Monsieur le pasteur, de bien vouloir faire les diligences que vous trouverez convenables pour empêcher qu'une nouvelle infamie semblable soit commise".

 

L'incident aurait pu en rester à ce point. Mais révolté, le commissaire Deligny fait exhumer le corps de son épouse. Avec l'autorisation du préfet, le cercueil est transporté en juin 1855 au cimetière Miséricorde à Nantes, dans le quartier réservé aux protestants.

Stupéfait et furieux de la victoire indirecte des catholiques, le pasteur Vaurigaud se déclare surpris de la demande du mari. Il informe le préfet de son refus d'assister à l'exhumation comme à l'inhumation de l'infortunée huguenote.

Un point final et tragique semblait avoir conclu cette pénible affaire. C'était sans compter le zèle de Mgr Jaquemet qui n'entendait pas en rester là.

 

L'évêque organisa une cérémonie expiatoire dans le cimetière un dimanche après les vêpres. Ce qui valut à un lecteur anonyme du journal catholique "L'Espérance du peuple" du 15 juin 1855, d'exprimer son réel bonheur :

"L'exhumation est venue donner pleine satisfaction à la piété des fidèles (...). On se demandait chaque jour si la justice ne serait pas rendue.

Mais il fallait une réparation : dimanche, au prône de la messe paroissiale, lecture nous a été faite émanant de notre Evêque bien aimé ; cette lettre qui respire charité et modération comme tout ce qui vient du vieux prélat, prescrivait une nouvelle bénédiction du cimetière. A l'issue des vêpres, un concours extraordinaire sortait de l'église et prenait le chemin du champ des morts ; ce n'était plus cette joie du matin mais une religieuse tristesse qui saisit toujours le chrétien quand il marche sur cette voie. Chacun s'estimait heureux cependant : les droits de l'église étaient reconnus, les tombeaux des ancêtres respectés ; et, comme le coeur vraiment catholique ne fait que pardonner et prier, au milieu de cette cérémonie touchante, des voeux ardents montaient vers le ciel, pour le retour des frères égarés. Tous avaient compris la pensée du Saint Evêque qui gouverne ce diocèse avec tant de sagesse et de dévouement".

 

Le pasteur Vaurigaud, "frère égaré", choisit un grand journal régional et laïc pour répondre à cette provocation :

"Permettez-moi de recourir à votre journal pour rectifier les faits dont parle cette lettre (...).

L'inhumation avait été faite dans un endroit honorable et non dans une partie réservée aux suicidés et aux enfants morts sans baptême, comme l'autorité municipale, à l'instigation du clergé l'avait voulu d'abord ; car la fosse réservée à la dépouille mortelle de la protestante avait été creusée à côté de celle d'un homme qui s'était pendu. Ni le pasteur de Nantes, présent à Guérande, ni la famille n'avaient voulu accepter cette sorte de flétrissure.

Monsieur le préfet, consulté, avait très nettement reconnu que la loi était en notre faveur (...) et l'inhumation avait eu lieu au milieu d'un grand concours de population très recueillie et bienveillante. C'est là sans doute ce que le correspondant appelle le grand scandale des fidèles.

 

. Le mot de la fin de cette affaire revient au pasteur Vaurigaud :

 

"Nous nous sentons obligés, quoi qu'il en soit, de ne pas rendre le mal pour le mal et de prier notre Dieu Sauveur de pardonner à nos adversaires et de les amener à des sentiments plus chrétiens"

 

Le message fut-il entendu ? L'évêque Jaquemet semble faire un peu plus preuve de mansuétude vis à vis des protestants dans une lettre adressée au curé du Croisic en 1867:

"Ne serait-ce pas le cas de faire une démarche auprès de monsieur le maire pour obtenir l'établissement d'un lieu décent et séparé pour l'inhumation des dissidents ?"

Mais les élèves dépassent parfois leur maître. Tel est le cas à la lecture de la réponse du curé du Croisic à son évêque:

"Je craindrais en vous faisant cette confession, de blesser au vif le sentiment religieux des catholiques de Guérande et du Croisic. Dans l'une comme dans l'autre de ces deux petites villes, on pourrait y voir comme la consécration du principe de l'indifférence des religions : une espèce de proclamation de l'égale bonté des cultes (...)".

 

 

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